Une nouvelle histoire de Noël : nous sommes en 1965, à la veille de Noël, en pleine guerre du Vietnam.
Le Père Wenrefried van Straaten, religieux prémontré hollandais, a fondé l’Aide à l’Eglise en détresse en 1947, pour venir en aide aux millions de réfugiés de l’Allemagne de l’Est fuyant devant l’occupation communiste, ONG qui existe toujours aujourd’hui au service des chrétiens persécutés à travers le monde.
Dans ce récit, il nous rapporte l’histoire véridique d’une Marie vietnamienne qui a mis au monde un bébé dans une boîte en carton, la nuit de Noël…
Combien d’hommes, à qui la paix est promise, doivent encore mourir, avant que ne commence, à minuit, la trêve de Noël ?
Je suis parti pour le Vietnam afin de célébrer la fête de la paix en pleine guerre. Mon périple a commencé sous la pluie froide de Paris. Aujourd’hui, en atterrissant à Saïgon, la chaleur me couvre comme d’un manteau. L’aéroport est sévèrement gardé. II grouille d’avions : d’élégantes libellules et de méchants escargots, de monstrueux insectes en acier dont les têtes effilées se terminent en aiguilles pointant leurs dards mortels : bombardiers, caraboos, hélicoptères et d’énormes avions-citernes à gros ventre où clapote le kérosène. Le béton tremble sous la violence des machines qui vont et viennent sans cesse. Le ciel est émaillés de jets, des fusées traîtresses cachées sous leurs ailes, ils montent en flèche, enfoncent avec fracas le mur du son et disparaissent comme un ouragan de feu et d’acier derrière l’ardeur aveuglante du soleil. Combien d’hommes, à qui la paix est promise, doivent encore mourir, avant que ne commence, à minuit, la trêve de Noël ?
Où est le Roi de la Paix ?
Ici, aucun mage n’a encore cherché le roi de la paix.
Il y a embouteillage sur la route qui mène à Saïgon. Les milliers de Vietnamiens qui travaillent à l’aérodrome sont méticuleusement fouillés. Pas un trait de leur impénétrable visage ne bouge. Ils lèvent patiemment les bras tandis que la police cherche des explosifs sous leurs vêtements. Hier, quatre Américains ont été assassinés et l’on craint de nouveaux attentats à la bombe. Tout Saïgon est inquiet. Comment se fait-il que je pense à Jérusalem ? Lorsque les mages demandèrent à voir le roi des Juifs qui venait de naitre, le roi Hérode s’émut, et toute la ville avec lui. Ici, aucun mage n’a encore cherché le roi de la paix. Pour les messagers de la paix, qui sillonnent le monde, il n’existe pas. Hérode essaya de le tuer. La différence n’est pas grande. C’est pourquoi Saïgon est aussi inquiète que la Jérusalem de jadis.
Veille de Noël au Vietnam
Des guirlandes de lampions et de papiers de couleur se balancent de façade en façade
Ta ville est pleine de névrosés. Sur tous les véhicules militaires, les soldats ont le regard tendu, le fusil en joue. Les bâtiments publics sont hérissés de barbelés. Ils sont gardés par d’innombrables sentinelles barricadées qui observent avec méfiance le flot ininterrompu du trafic. Les rues, habitées par des ministres ou des généraux, sont bouclées par des barrières en acier. Mais quand le jour vieillit, les cerfs-volants des enfants s’ébattent dans la brume nacrée du soir jusqu’à ce que le soleil disparaisse en flammes. Les lumières naissent dans la ville. C’est la veille de Noël. Des guirlandes de lampions et de papiers de couleur se balancent de façade en façade. Des étoiles lumineuses dansent devant les fenêtres comme d’étranges fleurs. Même à Saïgon, on attend l’Enfant qui apporte la paix sur la terre.
Nuit de Noël au Vietnam
Le chant des anges, qui glorifient Dieu et annoncent
la paix aux hommes, se perd dans les hurlements des réacteurs
Mais la paix n’est pas venue. Le Vietcong a interrompu 84 fois la trêve qu’il avait lui-même proposée. Vers Bien Hoa, aux alentours des faubourgs occidentaux de Saïgon, et dans les marais le long de la rivière, les coups sourds des mortiers communistes martèlent les positions vietnamiennes et américaines. Immédiatement un petit avion monte au grenier noir de la nuit et va semer des étoiles au magnésium, dont les grappes aveuglantes restent suspendues au firmament. Soudain c’est la lumière du jour. Les pilotes exécutent leur mission. Le chant des anges, qui glorifient Dieu et annoncent la paix aux hommes, se perd dans les hurlements des réacteurs et des canons à tir rapide, en cette nuit de Noël, sous le ciel de Saïgon.
Il n’y a pas eu d’ange
Le Nazareth de ces gens s’appelle Tri Tam
L’enfant est né, cependant. Non pas à Bethléem, mais au camp de réfugiés Nam Hai près de la rivière Saïgon. C’est là que, dans un vieil entrepôt, croupit la population de tout un village. Des 251 familles, un quart n’a plus de père. L’homme, dont la Marie mit son enfant au durant cette nuit, était l’un des soixante notables du village, assassinés par le Vietcong. Le Nazareth de ces gens s’appelle Tri Tam et se trouve à plus de 150 km d’ici. Ce n’est pas à cause du recensement de l’empereur Auguste qu’ils ont quitté leur village, mais parce que les communistes réquisitionnaient leur fils et leur riz, massacrant celui qui refusait de collaborer avec eux. Pas d’âne pour les porter quand ils étaient fatigués. Leur curé assuma la tâche de Joseph et les conduisit à travers les forêts inhospitalières et au-delà des rivières qu’ils traversèrent à la nage. Il a perdu dix paroissiens en cours de route : victimes d’accidents, de misère ou de francs-tireurs. Après la fuite, ils ne trouvèrent d’autre abri que cet entrepôt abandonné, dont le toit effondré ne protège ni du soleil, ni de la pluie. Or, pendant qu’ils étaient là, vint pour Marie Thoi l’heure de sa délivrance. Elle mit au monde son fils premier-né, l’enveloppa de langes et le coucha dans une petite boîte en carton, parce qu’il n’y avait pas de place pour elle à Saïgon.
Aurore de Noël au Vietnam
Son nouveau-né, couché dans un carton.
Ni bergers ni mages ne se dirent : « Allons donc au camp Nam Hai et voyons ce qui est arrivé. » C’est seulement parce qu’il était convenu que je célébrerais la messe en plein air pour ces réfugiés, que le hasard me fit trouver Marie Thoi et son nouveau-né, couché dans un carton. Les voisins – deux ménages par appartement – s’affairent à la confection d’une espèce de hamac, ou l’enfant en pleurs est déposé. Que pouvais-je faire si ce n’est le bercer avec précaution et déposer mon argent dans les mains de Marie ? Alors saint Joseph m’a conduit au pauvre presbytère, qu’il a confectionné dans un coin de l’entrepôt.
Saint Joseph s’appelle Nguyen-Duc-Nhan
Le moment vint où l’ange du Seigneur l’exhorta à fuir.
Prêtre depuis 1944, il a cinquante ans. Lorsqu’en 1954 les communistes envahirent le Nord-Vietnam, il est parti vers le Sud à la tête de sa paroisse, emmenant drapeaux, cloche et statues des saints. Dans ce pays corrompu et féodal, abandonné par les Français après l’effondrement de leur puissance coloniale, il collabora à l’édification d’une société meilleure. Il se fit le bâtisseur spirituel de Tri Tam, mais les méchants ont détruit son œuvre. Une avalanche de propagande rouge, de partisans et de commissaires politiques venus du nord, a déferlé sur le pays. Le peuple fut soumis de force à une tyrannie qui lui était étrangère. Lorsque ses instituteurs furent assassinés, ses écoliers déportés, la moisson confisquée et les filles exploitées comme des bêtes de somme pour amener les munitions du Laos, le curé supplia Dieu de lui venir en aide. Mais quand, par une fusillade provocatrice, le Vietcong, avide de vengeance, eut livré un village voisin au bombardement américain parce qu’il avait refusé de payer la rançon exigée, le moment vint où l’ange du Seigneur l’exhorta à fuir. II se leva, emmena de nuit ses 1530 paroissiens et émigra vers Saïgon. L’expédition fut plus dangereuse que la fuite en Egypte.
Hérode fut pris d’une violente fureur
Il faut d’abord une école pour les 875 enfants, qu’il a arrachés aux griffes du Hérode hargneux de Hanoï.
Le Vietcong, qu’on ne voit nulle part mais qui est partout, ne s’est pas incliné devant l’évasion de Tri Tam. Il essaie de s’emparer à nouveau de ce peuple, qui a dû s’enfuir pour la seconde fois, et il veut la peau du curé. C’est pourquoi celui-ci est le plus souvent habillé en civil et dort chaque nuit à un endroit différent. Car l’entrepôt a beaucoup de demeures et les réfugiés ont déjà construit, au bord de la rivière, cinquante cabanes provisoires à l’aide de carton, de fer-blanc aplati et de bois flotté. Ils partagent volontiers leur sol dur avec le pasteur qui est traqué comme un gibier. Ils ne peuvent se passer de lui. Suivant son exemple, ils ne mangent qu’une fois par jour. Ils vendent la moitié de leur nourriture afin de se procurer des planches, de la paille, du ciment, de bois de bambou et des tôles ondulées pour la réparation du toit et pour le nouveau village qu’ils veulent construire. Aidé par l’Etat, le curé a pu acheter un terrain. Maintenant, il cherche des fonds pour se procurer des matériaux de construction. Mais il faut d’abord une école pour les 875 enfants qu’il a arrachés aux griffes du Hérode hargneux de Hanoï. Cette école sera en même temps leur dortoir. La nuit, l’entrepôt, bourré d’hommes, restera ainsi réservé aux adultes, car l’haleine brulante de la passion et de l’amour le rend inhabitable aux petits. Le curé n’a pu encore penser à une église. Il célèbre la messe dans l’entrepôt ou en plein air. II entend les confessions, derrière un rideau, à côte de son lit. Et Jésus, le premier réfugié de la chrétienté, ne considère pas qu’il est indigne de Lui d’habiter dans une boîte à conserves au milieu de ces parias.
Gloire à Dieu au plus haut des cieux
L’amour que l’Enfant de la crèche attend depuis deux mille ans.
Lorsque, dans le brouhaha de la grand-messe improvisée, je prononçai avec peine le Gloria de la première nuit de Noël, j’ai pensé que tous nos confortables hommages au Dieu qui est infiniment loin doivent résonner comme un blasphème aux oreilles de Son Fils divin, si nous ne L’honorons pas dans les plus pauvres parmi les Siens, dans lesquels Il est si impérieusement proche de nous. Le Sauveur, qui naquit jadis dans la ville de David, est écœuré par notre piété, par notre liturgie à la page et par toutes les réformes importantes ou importunes, que nous considérons comme indispensables à l’épanouissement du Royaume de Dieu, quand d’autre part nous refusons aux victimes d’une agression injuste, aux pacifiques qui souffrent violence, aux abandonnés qui sont foulés aux pieds dans la lutte d’influences politiques, aux paroissiens de Tri Tam, au nouveau-né de Marie Thoi et à tous les déshérités de la terre, l’amour que l’Enfant de la crèche attend depuis deux mille ans.
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