Connaissez-vous ce petit livre pour enfants de T. Trilby, Lulu, le petit roi des forains ? Une histoire qui commence un soir de Noël et qui est très émouvante.

Lulu, le petit roi des forains : chapitre premier

Cette nuit de Noël, la fête installée à Montmartre, sur les boulevards étroits, bat son plein. Autour des baraques étincelantes de lumière, la foule se presse.

Les loteries donnent des lots superbes, bouteilles de mousseux aux étiquettes dorées, et les mains se tendent vers les planchettes où sont inscrits les numéros. Avec quelle émotion les yeux suivent le voyage circulaire de la grande roue entourée d’un cercle de feu ! À quel numéro s’arrêtera-t-elle, quel sera l’heureux gagnant ?

Perdu, tant pis, on recommence. Il faut gagner. À côté d’une loterie, un fakir en costume bariolé attend les clients qui veulent savoir ce que l’année prochaine leur réserve, son immobilité est effrayante et, insensible, il se laisse enfoncer des aiguilles dans ses bras nus, dont la peau est d’une couleur qui pourrait bien ne pas être naturelle.

En face du fakir, un cirque est installé et deux clowns annoncent la représentation unique, que la direction, ce soir de Noël, offre aux spectateurs.

Vêtues de jupes de mousseline, trois fillettes dansent, accompagnées par un jeune noir qui joue de l’accordéon. Leurs visages, maquillés, sont violets, mais leurs lèvres sourient et leurs petites mains rouges se tendent vers le public pour l’inviter à entrer dans la salle où, prétend Gugusse, le chauffage central est installé à tous les étages. Au milieu de cette foule, une jeune femme, portant un bébé enveloppé d’un châle de laine blanche, se laisse emmener par le flot.

Devant la femme-tronc elle s’arrête, mais s’en va dès que les spectateurs commencent à entrer. Un manège, puis un tir, semblent l’intéresser. Elle n’entre nulle part, ne joue à aucun jeu, et se contente de se promener. Étrange promenade, la cohue la rend fatigante, elle semble épuiser la femme qui la fait. Un moment sa lassitude est si grande qu’elle s’arrête près d’un arbre et appuie son corps contre le tronc puis, remuant ses bras engourdis par le doux fardeau, elle ferme les yeux. Son visage pâle aux traits tirés crie la souffrance, cette femme est malade et ravagée par la douleur. À côté d’elle un jeune forain joue du piston et cherche à dominer le tintamarre.

Se reposer au milieu de cette cacophonie, c’est impossible. La femme appuyée contre le tronc d’arbre se redresse, elle penche la tête vers le petit visage que le châle de laine recouvre, en murmurant : « Mon Lulu, donne-moi du courage », puis elle se mêle de nouveau à la foule. Mais elle ne s’arrête plus devant les baraques, elle n’écoute plus les parades, elle va, tourne autour de chaque métier, cherchant la roulotte, c’est devant la voiture qu’elle s’arrête.

Qu’est-ce qui peut donc l’intéresser dans ces habitations roulantes, que cherche-t-elle à voir dans ces petites maisons dont tous les volets sont clos ? Parfois, lorsqu’elle s’approche, un chien, gardien fidèle, essaie de se jeter sur cette femme, mais une chaîne le retient et il doit se contenter d’aboyer.

Devant les voitures sans gardien, la femme reste plus longtemps, et après s’être assurée que personne ne l’observe, elle monte l’escalier et cherche à voir l’intérieur de ces maisons roulantes, mais les maisons sombres ne livrent pas leurs secrets. Elle fait ainsi l’inspection de quelques voitures et, après les avoir longuement examinées, elle revient vers une caravane rouge qui semble appartenir aux propriétaires de ces grandes balançoires, qui emmènent vers le portique étincelant de lumières, dans de petites nacelles blanches et rouges, les occupants. Elle reste longtemps devant ces balançoires.

Ce n’est pas les occupants des balançoires qu’elle regarde, mais l’homme et la femme qui surveillent et font payer les voyageurs en donnant des conseils de prudence. Cet homme et cette femme, des forains, ont de bons visages, tous deux ont dépassé la cinquantaine et ont l’air de posséder une excellente santé. Les balançoires ne désemplissent pas, les amateurs sont nombreux, tout va bien, cette nuit de Noël rapportera une jolie somme.

La femme et son enfant restent si longtemps devant les balançoires que la foraine finit par l’apercevoir et, toute souriante, lui crie :

– Vous ne voulez pas balancer le gosse ?

Cette phrase met en fuite la jeune femme, serrant son petit Lulu contre sa poitrine que la fièvre rend haletante, elle l’emporte loin, le plus loin possible des balançoires et de la caravane rouge. Mais après s’être promenée encore une fois dans la fête, elle se rend compte qu’elle va tomber.

De l’autre côté du boulevard, il y a un petit café, dont les tables extérieures ne sont pas occupées, elle va s’y reposer. Après avoir traversé la chaussée encombrée où les autos se succèdent, elle se laisse tomber sur une chaise.

De l’intérieur du café, un garçon aperçoit cette cliente, il s’approche pour lui demander ce qu’elle désire.

Cette question, pourtant si naturelle, surprend la jeune femme, elle reprend contact avec les gens et les choses. D’une voix enrouée, toute cassée, elle dit :
– Un café bien chaud.
Chaud, avoir chaud, ah ! que ce serait bon !

Elle a un manteau de laine, noir, élimé, pas doublé, et la petite robe de cotonnade qu’elle porte a été achetée l’été dernier.

Monsieur Lulu, qui a dix mois passés, a dormi pendant la longue promenade de sa maman, et le tintamarre de la fête n’a pas troublé son sommeil, que la marche berçait. Le brusque arrêt du balancement le réveille. M. Lulu se met à crier d’une voix d’enfant bien portant.

Sa maman n’essaie pas de le bercer, lorsque Lulu ne veut pas dormir tout est inutile. Elle prend dans un sac en toile cirée qu’elle porte à son bras, un paquet enveloppé, de ce paquet sort un biberon qui s’est conservé bien chaud et qu’elle offre aux petites lèvres rouges qui s’empressent de le prendre. Satisfait, Lulu tranquillement boit son lait. Le café chaud est apporté et payé, la jeune femme a refusé la brioche offerte, elle possède pour toute fortune, le café payé, un franc. Biberon bu, le bébé s’est endormi. Sa maman prend alors dans le sac de toile cirée un papier et un crayon et, sur la table, écrit quelques lignes.

Cela fait, avec une épingle double elle attache ce papier sur la brassière de Lulu, puis referme soigneusement le châle de laine blanche. Combien de temps reste-t-elle assise à cette table, elle ne se rend plus compte de ce qui se passe autour d’elle.
– On ferme, la petite dame.

Ces paroles la surprennent, elle ouvre ses yeux fiévreux, où est-elle ? Elle se souvient, se redresse, et avec une énergie farouche se lève, puis fait quelques pas, traverse la chaussée où les voitures sont rares et rentre dans la fête maintenant endormie. Les lumières sont éteintes, les baraques fermées, la foule a disparu. Lentement la jeune femme remonte le boulevard, elle a un but.

La voici revenue devant les grandes balançoires où les nacelles sont maintenant enchaînées. La roulotte rouge est éclairée, derrière les persiennes closes on aperçoit de la lumière, puis, tout à coup, cette lumière s’éteint, les habitants vont prendre un repos qu’ils ont bien gagné.

La jeune femme s’arrête, elle est arrivée là où elle voulait venir. Elle regarde autour d’elle, personne. Il est deux heures du matin, les rares passants marchent sur les trottoirs. Elle est seule, personne ne s’occupe de cette ombre. Sa main droite se lève et en un geste brusque et violent la femme attire une balançoire. Elle touche les sièges de bois, le plancher. Tout cela lui paraît froid. Elle lâche la corde, se recule comme si elle voulait fuir, puis revient et, décidée, pose son enfant dans la nacelle.

Installation difficile et qui semble à la maman si peu confortable, elle arrache son manteau pour en
faire un matelas. La nacelle ainsi arrangée devient presque un berceau, mais le changement de position réveille Lulu qui fait entendre de petits cris mécontents. Alors d’une voix pleine de sanglots sa maman chante une berceuse que Lulu aime particulièrement.

Dors mon petit roi
Dors mon enfant à moi
Dors mon chéri
Dors mon petit

La voix maternelle apaise Lulu, et dans sa nacelle de bois il se rendort. Le voici installé aussi bien qu’il peut l’être quand on a une maman malade qui n’a plus ni argent, ni logis. Près de cette balançoire où le bébé repose, la mère, qui n’a plus sur elle qu’une robe de cotonnade à manches courtes, grelotte et claque des dents. La brise glaciale met le feu dans cette poitrine malade, il semble à la jeune femme qu’elle étouffe, sa respiration devient difficile et provoque dans le côté une douleur insoutenable.

Lulu est bien installé ; la pauvre maman, qui n’a plus sur la terre aucun ami, recommande son enfant à ce Dieu né dans une crèche pour apprendre aux hommes à aimer la pauvreté. Immobile, près de la nacelle, elle reste encore un long moment. Dans un sanglot elle murmure : « Dors, mon Lulu, dors, mon petit roi », puis elle s’enfuit. En courant, elle traverse la chaussée, puis disparaît dans la nuit.

Bien à l’abri dans sa nacelle de bois, ne sentant pas la bise qui souffle dur, Lulu dort paisiblement, sous un ciel criblé d’étoiles et où une planète plus grande, plus brillante, plus belle que les autres, semble s’être arrêtée au-dessus du berceau de bois, crèche d’un autre genre, où un petit enfant a été confié à Celui qui, ayant connu toutes les souffrances humaines, entend toutes les prières.

 

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Lulu, le petit roi des forains : chapitre 2

Ce jour de Noël est presque un jour de printemps. Toute promenade sera agréable, et les forains installés à Montmartre se réjouissent de cette faveur que le ciel leur envoie. Les forains ne se lèvent pas de bonne heure, et la matinée est déjà avancée quand les volets des petites voitures s’ouvrent. Les propriétaires des grandes balançoires, M. et Mme Foulon, se sont réveillés alors que le soleil s’était depuis longtemps emparé de la terre, ils ont pris leur café préparé la veille et de fort bonne humeur. M. Foulon entrouvre la porte de la roulotte et s’avance sur le balcon. Le soleil l’aveugle et le réjouit.

– Ça, c’est de la veine, crie-t-il joyeux, on se balancera encore aujourd’hui. Viens voir, la
vieille, si c’est un joli temps !

Vêtue d’une robe de chambre bien chaude, la vieille s’approche et répond :
– Pour sûr qu’il fait beau !
– Tu me fais un bon déjeuner, des huîtres, du boudin, des petits pois et une vieille bouteille. J’irai chercher la bouteille.
– Pas d’imprudence, tu sais que le médecin t’a dit : à ton âge faut faire attention.
– Une fois en passant c’est permis. Noël, ma vieille, c’est Noël. Au moment où M. Foulon
s’apprête à descendre son petit escalier, les cris d’un enfant se font entendre.
– Il y a un mioche par ici ? demande-t-il à sa femme en désignant les roulottes voisines.
– Pas que je sache. Là ce sont les Corbin, à côté les Mainard avec leurs trois garçons. Quel
est donc ce mioche qui crie ainsi ? On dirait que c’est du côté des balançoires.
Madame Foulon se penche et regarde. Devant les balançoires il n’y a personne, mais les cris
continuent.
– Dis donc, Édouard, où peut-il bien être ce gosse qui fait tant de tapage, tu ne vois pas une
voiture d’enfant quelque part ?

M. Foulon regarde autour de lui, et il n’aperçoit aucune petite voiture. Guidé par la voix perçante, il se dirige vers les balançoires. Mais il constate qu’il n’y a personne devant leur métier. Il s’approche pourtant des nacelles enchaînées et s’aperçoit qu’une d’elles a été déplacée. Les cris ne se font plus entendre, mais avant d’aller chercher le journal et la vieille bouteille, M. Foulon veut mettre en place la balançoire dérangée probablement par un passant. Il s’approche de la nacelle et, au moment où il saisit la chaîne, s’arrête, stupéfait. Dans la balançoire, ayant rejeté le châle de laine blanche, assis, M. Lulu dresse sa petite tête blonde et sourit à ce visage qu’il voit pour la première fois.

Un enfant, est-ce possible ! M. Foulon, le père Édouard, comme les forains l’appellent, est-il bien réveillé et le mousseux pris hier soir, ne lui a-t-il pas donné un de ces cauchemars si bien ordonnés qu’on croit les vivre. Cramponné à la  chaîne, se tournant vers la roulotte où Mme Foulon est restée sur le balcon, il crie :
– La vieille, viens donc voir ce que le diable a mis dans notre balançoire !
La vieille ne se presse pas, elle suppose qu’un mauvais plaisant a trouvé drôle de jeter dans une des belles petites nacelles, fraîchement repeintes, quelque ordure ménagère volée aux poubelles. Mme Foulon s’approche lentement de cette balançoire sur laquelle est penché son mari. À son tour elle aperçoit M. Lulu dont les yeux bleus la dévisagent, et elle est si stupéfaite qu’elle murmure :
– C’est pas possible, non, c’est pas possible, qu’est-ce que tu dis de ça, Édouard ?
– Moi, je ne dis rien. C’est du toupet, tout de même, de poser là ce gosse, et puis de s’en aller.
M. Lulu de nouveau s’impatiente, agitant ses petits bras, il se remet à crier. Le père Édouard et sa femme ne savent que faire, ils n’ont jamais eu d’enfants et tous deux sont très embarrassés. Pourquoi ce bébé crie-t-il ?

Il n’est pas bien dans cette balançoire, il faut le prendre, l’emporter dans la roulotte, après on verra. Le père Édouard s’écarte afin que la vieille puisse prendre l’enfant, mais Lulu crie si fort, qu’effrayée, Mme Foulon hésite. Énervé, son mari attrape d’un seul coup tout le paquet et l’emporte. Heureux de ce changement de position, Lulu se tait, et, avec son poupon, le père Édouard rentre dans la roulotte, suivi par sa femme. Il s’assied avec son paquet et commande à Mme Foulon d’enlever le châle qui emprisonne le bébé.

Débarrassé, Lulu apparaît dans une petite combinaison de tricot bleu, de la couleur de ses yeux ; un bavoir, bien propre, est tenu par une épingle de sûreté, et ses petits pieds ont des chaussons qui montent haut et garantissent les mollets fermes. Lulu a des cheveux blonds frisés, c’est un superbe enfant.

Mme Foulon s’est assise et regarde le bébé qui multiplie les sourires. Elle répète :
– En voilà une histoire. Un enfant dans une balançoire, c’est-y possible, je te le demande, Édouard ?
– C’est possible, puisque le gosse est là, mais dis donc, la vieille, il a peut-être faim ?
– Qu’est-ce tu veux que je lui donne ?
– Du lait, que je crois.
– Du lait, j’en ai bien un peu, mais à cet âge-là, ça doit encore téter, faut un biberon, une tétine, tout un matériel que nous n’avons pas.
– Ah ! que tu es empotée, ma pauvre vieille, on voit bien que tu n’as jamais eu d’enfant. Fais chauffer le lait, mets-y du sucre, on verra après.

Mme Foulon allume un petit fourneau et en peu de temps le lait est chaud et mis dans une tasse. Lulu suit avec attention les préparatifs comme s’il comprenait ce qui se prépare, mais quand Mme Foulon approche la tasse de ses petites lèvres, il détourne la tête et sa main se lève pour repousser le lait. Mme Foulon recule et dit désespérée :
– Il va tout renverser et j’ai encaustiqué hier !
Le père Édouard s’impatiente, il est convaincu que le bébé à faim…

 

A suivre…

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